PAKISTAN ZINZABAD !

Demain, on quitte le Pakistan. Et à quoi pense-t-on à la veille de quitter le Pakistan? « Et dire qu'on a failli ne pas venir! » Quand je pense qu'on a failli changer d'itinéraire pour rester en Chine juste parce que ce pays nous faisait peur, parce qu'on n'entendait que les mauvaises nouvelles relayées par les média ou par des ambassades un peu frileuses... Dire qu'on a failli se dégonfler à la dernière minute et oublier cet unique passage possible pour arriver en Inde.

 

On ne va pas se mentir. Le Pakistan, c'est vrai, est victime d'une minorité de terroristes et de nombreuses catastrophes naturelles qui parviennent à peine à faire perdre le sourire à ses courageux habitants. Mais le Pakistan a été un jour le refuge adulé de milliers de touristes et ce n'est certainement pas pour rien. Ses montagnes culminant à plus de 4000, 6000, 8000 mètres, ses gorges profondes, ses villages de pierres, son hospitalité légendaire et le faible coût de la vie (oh ben oui, ça fait partie des avantages quand même) font de ce pays un vrai petit coin de paradis pour qui ose s'y aventurer.

 

On continue notre route sur la Karakoram Highway... méconnaissable. Côté chinois, on glissait sur une asphalte lisse, sur de larges plateaux couverts de montagnes colorées. Mais maintenant, il va falloir traverser la chaîne de la Karakoram, l'extrémité occidentale de l'Himalaya. Ici, on roule sur une route taillée à flanc de montagne, sur de la caillasse, dans des gorges vertigineuses et toutes en nuances de gris, et... oups! Attention, on roule à gauche! Il va falloir s'habituer. Tous les matins il nous faut deux minutes pour réaliser qu'on roule encore à l'européenne.

 

A l'approche d'Attabad, la rivière s'élargit en un lac bleu turquoise, magnifique au premier coup d'œil mais qui a détruit plusieurs villages il y a quelques mois seulement. En janvier 2010, suite à un énorme glissement de terrain qui a formé un barrage, la Karakoram Highway (ou « KKH » pour les intimes) est sous l'eau sur 25 km de long et la population se débrouille tant bien que mal pour traverser ce lac d'infortune par bateau. C'est une catastrophe d'une ampleur incroyable, qui a englouti des villages entiers, et qui pose aujourd'hui d'autres problèmes.

En faisant venir des barques en bois de Karachi, à 2000 kilomètres de là, les montagnards se sont improvisés marins et tentent de d'approvisionner l'amont de la vallée..

On charge les vélos sur une barque en bois et 1 heure et demi plus tard, on débarque sur un chemin couvert d'une épaisse couche de poussière, on zigzague sur un tas de gravats et de rochers, tellement gigantesque qu'on appellerait ça une montagne en Belgique... Les camions soulèvent des nuages de poussière en faisant des aller-retours pour charger et décharger les bateaux en produits de première nécessité. Le Nord de la vallée est coupé du monde. L'acheminement des produits de base est difficile et les prix des denrées alimentaires augmentent fortement, dans une région où certains ont tout perdu. La Chine étant tellement proche, on imagine facilement une solution venant de là-haut, mais ce serait trop simple. Et finalement pas grand chose ne bouge, même pas les eaux de ce lac qui ont submergé la route sous une centaine de mètres d'eau glaciaire.

 

A Karimabad, on retrouve Marion et Mickaël, rencontrés à Kashgar et qui voyagent aussi à vélo. On décide de partager un bout de route ensemble... aucun de nous ne se doute alors que ce bout de route durera un mois et demi!

Dans la vallée de la Hunza, il fait bon vivre, et Karimabad est un petit paradis sur terre, perché au-dessus de la rivière. Une jolie vue, de la verdure, le fort de Baltit, des randonnées diverses et variées, et des gens adorables. Le soleil brille et dévoile les sommets enneigés qui nous entourent : Rakaposhi, Diran, Golden Peak... Marion et Micha nous attendent depuis une semaine alors ils partent un peu devant pendant qu'on profite du village et des balades. On se retrouvera à Gilgit. En suivant un canal d'irrigation, on remonte vers la plaine d'Ultar, un plateau de verdure dominé par le pic « Lady Finger » et le glacier d'Ultar qui descend en cascade vers la vallée.

 

Dans la vallée, il y a aussi Aliabad, et à Aliabad il y a la Shadow Girls Academy, Karim et Jacqueline. On découvre leur projet en faveur des jeunes filles, qui nous touche beaucoup... (voir notre article à ce sujet)

 

En reprenant la route vers le sud, on découvre une KKH dans un sale état. Les Chinois qui supervisent les travaux ont d'abord détruit la route sur toute sa longueur, avant de commencer à la reconstruire. Le résultat, c'est de la caillasse, de la poussière, et des camions qui grimpent poussivement vers la Chine. Les sommets se découpent sur le ciel, qui est bleu depuis qu'on est dans le pays. Le paysage est parsemé de rares touches de verdure au creux desquels se cachent les villages.

 

A Gilgit, on se pose quelques jours... on se prélasse dans les hamacs de la guesthouse et on profite de son calme, qui contraste avec la ville animée. Les vaches déambulent dans les rues, un avant-goût de l'Inde? On espère se fondre dans la masse dans nos Shalwar Kamiz (pantalon bouffant et tunique longue), tête couverte d'un chapeau de laine pour les mecs, d'un foulard pour les filles... mais c'est râté! On nous repère à tous les coins de rue et ça se termine souvent par une invitation à partager un tchaï, ce délicieux thé au lait sucré! L'hospitalité ici, c'est sacré: « You are my guest, I'm your host !». Qu'il soit commerçant, policier, cuistot ou simple passant rencontré au hasard d'une rue, chacun se sent responsable du bonheur des gens de passage que nous sommes. Pour attirer les touristes, tous les moyens sont bons: prix ''spécial touristes'' pour le train (-25%!), prolongations de visas gratuites...Je me sens vraiment bien ici, mais il manque comme un petit quelque chose pour me combler, ou serait-ce quelqu'un... où sont les feeeeeeeeeeeeeemmmmes???

 

En bons gourmands, on fait le tour de tous les plats pakistanais: dhal (lentilles), choley (pois chiches), alu gobi (patates/chou-fleur), alu palak (patates/épinards), kima (viande hachée)... toujours baignant joyeusement dans l'huile et les épices, et accompagnés de chapattis (pains plats). Si nos papilles en redemandent, autant dire que nos estomacs saturent assez rapidement. Mais pas de panique, on a encore quelques mois pour s'habituer... paraît que ce sont les mêmes spécialités en Inde. En plus épicé.

 

Avec Marion et Mickaël, on s'aventure quelques jours dans la vallée de Naltar, à pied cette fois. Objectif: le col de Pakora à 4900 mètres d'altitude. Le seul moyen d'accéder au point de départ de la rando, c'est les camionnettes remplies de patates qui font la navette. On balance nos sacs remplis eux de pâtes et autre porridge, et on s'assoit sur les patates. Ca bouge dans les lacets, et chaque fois qu'on traverse les vestiges d'anciens glissements de terrain, l'estomac de Ju est secoué. Ca ne rate pas : il faut qu'il aille vite soulager son estomac qui commence à jouer au yoyo. Il remonte un peu blême, et on reprend la route.

Durant les premiers kilomètres, c'est un ciel chargé qui nous accompagne. Fini le ciel bleu, les nuages bloquent maintenant les sommets de la vallée. On passe la nuit près d'une maison, autour d'un feu accompagnés par nos hôtes qui sont armés. D'après ce qu'ils nous expliquent, ils sont shiites dans une vallée Sunnite, alors il doivent se protéger. Pour être sûr que tout le monde sache qu'ils sont là, l'un d'eux arme le fusil à pompe et tire un coup en l'air...

Le matin est frais et les feuilles d'automne couvrent le chemin. Le ciel est toujours encombré, mais le bleu n'est pas loin. On grimpe doucement le long de la rivière en traversant sur des ponts de fortune et en devinant le chemin dans la moraine du glacier. Au-dessus de nous, les craquements menaçants des langues glaciaires résonnent dans la vallée, et les premiers flocons de neige arrivant, on installe le camp en vitesse sur un promontoire herbeux. Devant nos yeux, les sommets et les glaciers se figent dans le froid, comme nos orteils dans nos chaussures. Le froid nous empêche de passer une bonne nuit et nous réveille tôt le matin. On attend avec impatience que les premiers rayons de soleil viennent dégeler nos tentes et illuminer les sommets, pendant qu'on fait chauffer du thé et du porridge.

La neige a poudré les montagnes et rend le chemin plus visible. La vallée s'élargit peu à peu et s'ouvre sur de nouveaux glaciers et cours d'eau. L'herbe des pâturages a aussi pris une couleur d'automne, et les yaks profitent de leurs dernières semaines en altitude avant de redescendre vers les vallées plus basses. Il est trop tard pour tenter d'accéder au col et de traverser le glacier qui est derrière, alors on campe à 4200 mètres sur un tapis herbeux entouré de neige. De là on devine le col de Pakora, et la curiosité nous pousse à partir en reconnaissance pour la journée suivante. Très vite la neige est omniprésente, et on se demande bien comment sera le glacier. Si les crevasses sont couvertes de neige, la traversée sera trop dangereuse.

Julien passe une nuit difficile. Des maux de tête et une envie de vomir l'empêchent de dormir, et le matin, il décide de ne pas monter au col. Du coup, Michaël, Marion et moi montons au col en marchant dans la neige, et descendons jusqu'au glacier. Le manteau blanc s'étant à perte de vue et adoucit le relief rugueux qui nous entoure. On redescend pour plier le camp et pour redescendre à une altitude plus adaptée. On emprunte le même chemin qu'à l'aller, mais on ne reconnaît pas grand chose, et si nos deux amis n'avaient pas un œil plus aiguisé que le notre, on se serait sans doute égarés.

 

On quitte finalement Gilgit avec une extension de visa en poche. On enfourche les vélos et on remonte sur la KKH pour la quitter aussi rapidement... cette fois, direction Skardu! La route grimpe et redescend rudement le long de l'Indus. Les villages situés de l'autre côté de la rivière sont atteignables grâce à des ponts suspendus. Les pauses « tchaï » rythment nos journées et les camions sont tous plus colorés les uns que les autres, de vraies œuvres d'art! Plaisir des yeux, mais aussi des oreilles grâce à toutes les clochettes qui pendent à l'arrière.


Depuis Skardu, on hésite à poursuivre vers le plateau du Deosai perché à 4000 mètres d'altitude. Il a neigé il y a 3 jours, et le col pour l'atteindre sera peut-être fermé. Alors on se lance sans trop savoir si on ira jusqu'en haut...

Après 2 jours à lutter, pousser, grogner, persévérer dans des cotes raides couvertes de caillasse ou de neige, on se hisse finalement à 4200 mètres, soulagés et heureux du paysage immaculé qui s'ouvre devant nous. « Le plus dur est passé » -pense-t-on- « Y a plus qu'à » traverser cet immense plateau, repasser un col, et profiter de la délicieuse descente vers Astore. Mais les choses ne sont pas si simples... la couche de neige est épaisse, nos sacoches butent dans les ornières creusées par les passages de jeeps. On glisse, on tombe, une couche de neige se bloque sous nos gardes-boue et nos freins gèlent. Après 10 kilomètres, et après avoir tenté de traverser une rivière glacée, Ju et moi baissons les bras. Le décor est magnifique, mais on ne prend plus de plaisir, on a froid malgré le soleil qui nous crame le visage, on a atteint nos limites... et on charge les vélos dans une jeep qui passe par là et accepte de nous redescendre. Frustration de faire demi-tour... Peut-être qu'on avait passé le plus dur? Marion et Mickaël poursuivent courageusement, on les retrouvera quelques jours plus tard, les pieds encore bleus, 5 jours après avoir traversé ce plateau.

 

On reprend la KKH direction Chilas, étape obligée pour se rendre vers col du Babusar et la vallée de Kaghan qui promet d'être charmante. On n'est pas pressés d'arriver dans cette ville où parait-il les étrangers ne sont pas bienvenus... certes les gens nous dévisagent comme si on était tombé de la lune, mais jamais on ne nous a offert autant de thés en une journée! Malheureusement, le col du Babusar est fermé. D'après les policiers, la zone est dangereuse à cause de bandits qui braquent les voitures qui passent par là et il y a trop de neige. On ne saura jamais quelle excuse prévaut sur l'autre, mais on va devoir continuer sur la KKH. De toutes façons, on ne sait même pas si on aurait réussi à grimper les 3000 mètres de dénivelé en 35 kilomètres... du jamais vu!

 

On retrouve nos compagnons cyclistes dans notre hôtel à Dasu. Et l'équipe s'agrandit encore... on a la merveilleuse surprise de se faire escorter pendant 4 jours par la police, tantôt en camionnette, tantôt en moto. La région est dangereuse et c'est leur « devoir » de nous protéger. Pour être sûrs qu'on ne court aucun risque, ils déclenchent sirène et gyrophare pour traverser les villages et éloignent les potentiellement dangereuses personnes qui tentent de nous parler en gardant toujours la kalashnikov en main. Autant dire que notre contact avec la population en prend un coup... On se console en pensant que ça aurait pu être pire, ils auraient pu tout simplement nous interdire de rouler dans cette région.

 

A Abbotabad, on se détend. Non seulement notre escorte nous lâche, mais en plus, on a la bonne surprise de découvrir un bazar où déambulent des centaines de femmes aux shalwar kamiz multicolores...

On choisit des petites routes verdoyantes qui serpentent dans les collines au Nord de la capitale. Une ascension raide nous mène à Nathiagali et Murree, charmants villages envahis le week-end par les habitants de la capitale.

 

Et enfin, on arrive à Islamabad, étrange capitale ultra-moderne et extrêmement calme, coupée de larges avenues et garnie de quelques parcs, où les demoiselles se promènent cheveux au vent... changement radical.

Sophie et Julien, amis d'amis, nous accueillent tous les quatre dans leur appartement. Petite colocation à 6 ponctuée de déjeuners sur la terrasse, d'apéritifs « avec alcool » (ça change de la limonade), de longues palabres, et d'heures passées à se cuisiner de bons petits plats pour récupérer les kilos perdus par certains ces dernières semaines...

Virée à Taxila -site archéologique bouddhiste-, concert de musique qawwali, déambulations dans le bazar de Rawalpindi... on se plait bien finalement ici!

 

On fait un petit crochet par Peshawar où règne une ambiance de fête... c'est l'Eid! On comprend maintenant pourquoi les aiguiseurs de couteaux proposaient leurs services partout dans les rues de la capitale et de 'Pindi. La plupart des échoppes sont fermées, et tout le monde se réunit en famille pour sacrifier moutons ou vaches. On zig-zague adroitement entre flaques de sang et boyaux... Tout le monde a le sourire aux lèvres, et on nous trimballe à droite à gauche, pour un thé, une part de mouton, pour nous offrir des bracelets ou nous faire des tatouages au henné!

 

A Islamabad, on récupère notre visa pour l'INDE... pour une durée de 6 mois!!! On va pouvoir profiter de cet immense pays comme il se doit, on est heureux!!!

On quitte la joyeuse bande, et on file vers Lahore, dernière ville avant la frontière. Après un périple de presque deux mois ensemble, c'est difficile de quitter nos compagnons de route. Eux sont dans l'attente de leur visa iranien avant de se diriger vers Quetta et la frontière. On reprend les vélos sur une route monotone et très empruntée sur 300 kilomètres. L'arrivée à Lahore est épique: on roule entre auto-rickshaws, camions, vélos, motos, charettes tirées par des ânes, klaxons et pollution... Surtout ne pas s'arrêter, se laisser porter par le flot, ça va aller! On sent que l'Inde n'est plus très loin. La ville est pleine d'histoire: facades sculptées, volets en bois, mosquée Badshahi immense et teintée de rose, vieille ville animée...

On dégote des bières (made in Pakistan!) pour fêter l'anniv de Ju sur le toit de la guesthouse, avec nos compères cyclistes qui nous ont rejoints avec leurs visas iraniens en poche.

 

Puis on se dirige vers la frontière, la « Wagah border », pour une dernière soirée aux couleurs pakistanaises. Tous les soirs, la frontière entre les deux frères ennemis se ferme en fanfare. Le cérémonial est bien huilé. Les gardes pakistanais et indiens s'affrontent, se toisent et se menacent lors d'un drôle de combat chorégraphié, encouragés par la foule en liesse qui crie Pakistan Zinzabad !!!Longue vie au Pakistan!