Ouzbekistan - Au pays du sourire dore

-         Zdrasti! me lance le douanier ouzbek.

-         Salam! j'lui dis.

-         Vous parlez russe?

-         Niet..., j'lui dis, mais je parle un peu ouzbek.

Là il est sur le cul... C'est bon pour nous ça, entamer une conversation sympathique avec l'officiel ouzbek. Je bluffe bien sûr, car en réalité il me reste juste quelques mots de turc, mais c'est déjà pas mal, il y a pas mal de vocabulaire commun...

-         Passeport! (c'est un mot universel) Remplissez la déclaration et passez voir le médecin dans le premier bureau.

-         Problem yok, je lui dis (et ça fait son petit effet...)

 

Dans le premier bureau, un type en blouse blanche que je suppose être un médecin pointe un pistolet futuriste sur ma tempe... C'est pour prendre la température. Stef qui se tord de douleur depuis le matin n'a pas plus de température qu'à l'accoutumée, malgré les 45 degrés à l'extérieur. Heureusement que tout va bien parce que sinon on serait coincés dans le no man's land, sans moyen de retourner au Turkménistan.

Heureusement aussi qu'on a le sourire d'Aziza, un vrai passe-partout (pas le nain hein!)!

 

On se sépare de nos deux amis de l'autre plat pays, qui prennent un taxi pour Bukhara... on les retrouvera un peu plus tard. Pour nous, il reste une centaine de kilomètres à parcourir dans la chaleur et sur une route dans un état de décomposition avancé. On fera étape à 25 kilomètres de la frontière chez une famille ouzbèque qui nous accueille pour un thé... et chez qui on passera finalement la nuit. On offre la pastèque et la vodka, et on déguste le plov et la salade dans la cour intérieure de la ferme. Le plov? C'est du riz, des carottes, des oignons et des épices, et c'est tellement lourd que ça fait 'plof!' quand ça vous tombe dans l'estomac. J'exagère... c'est très bon, mais c'est très lourd. D'ailleurs, je ne sais pas si ce mets délicat en est la cause, mais je suis réveillé en pleine nuit par des vomissements que je dois faire passer dans des toilettes qui n'ont pas vu monsieur Propre depuis un bon moment. Ici pas de papier et pas d'eau, il y a juste les cahiers d'école ou de vieux bouquins qui traînent et desquels on arrache une page ou deux.

 

La route est mauvaise et le soleil agresse nos estomacs déjà pas très en forme. On roule péniblement, faisant des pauses tous les dix kilomètres, à la recherche de fraîcheur, d'ombre et d'eau... Mais à chaque pause on a droit aux sourires des ouzbeks, des sourires pleins de dents dorées, et d'une douceur incroyable. Tout le monde nous salue avec la main sur le cœur. Les yeux des femmes, des hommes et des enfants pétillent à la vue de nos silhouettes de touristes et on ne peut s'empêcher de s'arrêter pour les saluer et partager leur bonne humeur. Pourtant la vie ne doit pas être facile dans ce pays...

 

Enfin, on arrive à Bukhara... Aaaaaaaah, Bukhara! C'est la douceur de vivre dans cette ville au milieu du désert. Les ruelles ombragées ouvrent sur des bazaars et des caravansérails, et les toits de la ville sont dominés par les dômes bleus des medressas typiques de l'architecture Timouride. On admire le travail des artisans: fabricants de marionnettes, de « suzane » (tissus colorés avec d'imposants motifs fleuris), peintres miniaturistes, ébénistes... On a la belle vie autour du bassin de la place principale où on déguste des laghmans (genre de soupe de spaghettis tordus). On n'a pas envie de partir alors on traîne, sans rien faire de particulier, mais juste en appréciant l'atmosphère de la ville.. Et puis il y a les soirées autour du mondial de foot, à suivre avec attention et un peu d'ivresse aussi, les matches de l'équipe hollandaise. D'autres cyclistes débarquent le jour où on prévoyait de partir. Il y a Rob et Ania (polonais) et Ben (anglais), rencontrés en Iran, et Tobias (allemand). Et puis il y a aussi Kirstin et Jens, deux allemands croisés au hasard d'une terrasse (tu parles d'un hasard!). On ne peut donc pas partir comme ça! Alors on décide de rester une nuit de plus à l'hôtel, une soirée à partager nos aventures cyclottes à dix sur la place, en sirotant des bières en manches courtes...

 

On reprend la route avec Jorma et Aziza, direction Samarcande. Nos sacoches sont bien pleines car en dehors de la nourriture et de l'eau, il y a... les sous! Parce que je ne vous ai pas dit, les sous en Ouzbékistan c'est toute une histoire! D'abord, il y a deux marchés de change : le marché officiel et le marché noir. Le second rapportant 20% de plus, tout le monde change au noir, avec la crainte de se faire attraper par les flics. Et puis le plus gros billet en Ouzbékistan c'est 1000 soms, ce qui représente un demi-dollar, du coup on se retrouve avec des liasses gigantesques de billets froissés, qu'il faut compter un par un. Il faudrait presque une sacoche de plus pour les transporter!

 

La route pour Samarcande c'est 270 kilomètres de mauvaise asphalte et de chaleur légèrement humide à cause de l'irrigation des champs de coton. Au bord des routes, dans les canaux d'irrigation, les jeunes et les adultes se baignent dans une eau brune chargée de poussière. Je me laisse aller à la baignade et profite de l'ingéniosité de mes camarades de bain, qui ont accroché une bouteille de bière sous un pont pour la laisser rafraîchir dans l'eau du canal. Il est 14 heures et j'enchaîne les tasses de bière et de vodka, en plein soleil, en arborant non sans fierté mes marques de bronzage de cyclo!

 

Plus qu'une cinquantaine de kilomètres jusqu'à Samarcande. On se lève tôt chez les gens qui nous ont invités, réveillés par les vaches, les ânes et les chiens qui n'ont pas l'air de vouloir faire la grasse mat'. On enfourche nos vélos, et qui voilà sur la route? Jens et Kirsten qui, eux aussi, ont préféré les heures fraîches du matin plutôt que la chaleur de la mi-journée. On entre ensemble jusque cette ville où les caravanes de la Route de la Soie semblent bien loin face aux immeubles modernes qui sont en construction. Et puis on tombe nez à nez avec le « Registan », et on ne peut que succomber. Difficile d'imaginer comment un édifice aussi imposant puisse être aussi finement arrangé. Bon, il y a les restaurations qui ont rendu sa grandeur au complexe, et certains doutent de l'authenticité de la reconstruction, mais nous, on se noie dans les bleus et les verts des mosaïques et des dômes.

Et Samarcande ne serait pas le Samarcande des voyageurs sans l'hôtel Bahodir! On s'y est tellement bien sentis qu'on n'a pas beaucoup ressenti le besoin de sortir de la superbe cour intérieure, à part pour aller acheter à manger... oui, il faut bien qu'on récupère! Je ne sais pas si l'hôtel avait déjà vu ça auparavant, mais c'était une concentration de cyclistes. Pas moins de 11 vélos et cyclos rassemblés ici, à partager leurs histoires et leurs conseils, et à boire des bières devant la finale de la coupe du monde. Pauvre Jorma, il était bien triste ce soir là! Pour la plupart des cyclos, la prochaine étape c'est le Tadjikistan et la mythique Pamir Highway. Nous on a fait le choix de ne pas y aller et de profiter plus du Kirghizistan. On ne regrette pas notre choix, mais on se dit quand même que ce serait chouette de faire encore un bout de route avec nos amis!

 

Lorsqu'on se décide à finalement quitter l'hôtel, on est trois à se mettre en route. Ben, cyclo anglais, nous accompagne sur la route de Tashkent. Comme les routes principales sont monotones, on choisit une route secondaire qui longe la frontière tadjik et traverse un parc naturel. La bonne idée que nous avons eue! On ne pensait pas que c'était possible, mais la qualité de la route est devenue encore plus mauvaise... voire même catastrophique. A mesure qu'on avance, la route est de plus en plus défoncée et se transforme peu à peu en piste. D'un autre côté, on peut profiter de températures plus fraîches dans les montagnes, et on aperçoit les cimes enneigées du Tadjikistan; rien que de les voir, ça rafraîchit! Pendant 3 jours, ça monte, ça monte, ça monte.... et enfin vient la longue descente tant attendue! On est debout sur les freins, le vent dans la figure, et on finit par buter dans... un barrage militaire! Apparemment, on s'est perdus, pas moyen d'aller plus loin. A force de négociation et de sourires (on est devenus forts), ils acceptent de nous escorter dans un camion jusqu'à Zamin, la prochaine ville... Le reste de la soirée se complique et ne vaut pas vraiment la peine d'être racontée, mais on finit par pouvoir se coucher à 2 heures du matin, complètement épuisés.

On a compris la leçon, et on se limite aux routes principales jusqu'à Tashkent. En pleine journée, la chaleur devient tellement insupportable (jusqu'à 50°C), qu'on préfère encore rouler pour avoir un peu d'air, plutôt que de suer en faisant la sieste.

A l'approche de la capitale, vers 8 heures le matin, on passe devant une maison animée. Il y a du monde et de la musique, et des types imbibés sans doute depuis quelques heures nous invitent à participer au mariage. Plov, gâteaux, boissons et danses, on a droit à la totale, et on est reçus comme des rois.

 

On apprend en arrivant à l'hôtel à Tashkent qu'il n'est pas possible de passer 6 nuits sans s'enregistrer dans un hôtel. « Je ne peux pas vous accepter, sinon la police va me tomber dessus » nous dit le gérant d'une guesthouse. « Il va falloir aller ailleurs... ». Bienvenus en Ouzbékistan, où liberté n'est encore parfois qu'un concept.

 

Nos dix jours à Tashkent ne sont pas des plus agréables. Malgré le fait qu'on soit encore avec nos amis, et hébergés parfois par un sympathique cycliste, Igor, la chasse aux visas n'est pas un plaisir, et ça nous prend beaucoup, ou même trop, la tête. Les visas sont dans tous les esprits et dans toutes les bouches. « Comment avoir le visa chinois? » « Il paraît que pour le visa Kazakh il faut faire la queue toute la nuit devant l'ambassade! » On se lève tôt tous les jours pour se rendre aux ambassades, y revenir, et encore y revenir, et ça nous gâche un peu le plaisir... C'est triste à dire, oui.

Mais on n'oublie pas la beauté des sourires des Ouzbeks et on se rappelle de la chance qu'on a de pouvoir goûter un peu à l'authenticité et à la beauté de ce peuple.

 

Les postes-frontière entre l'Ouzbékistan et le Kirghizistan sont toujours fermés. Apparemment, d'autres voyageurs s'y sont cassé les dents, alors on se munit tant bien que mal du visa kazakh et on pénètre dans une nouvelle république d'Asie Centrale, le temps d'un transit, pour découvrir un peu plus, pour manger des pastèques, pour voyager dans les steppes avant de rejoindre le Kirghizistan!