IRAN

Après 3 mois en Turquie, on commençait à se sentir comme à la maison. A la veille d'une nouvelle frontière à traverser, quelques peurs existentielles font surface: «vais-je être capable de rouler face au vent sans que mon foulard ne se fasse la malle? », « va-t-on être obligés de faire chambre à part parce qu'on n'a pas de certificat de mariage? », « va-t-on trouver des pâtes à tartiner aussi bonnes qu'en Turquie? »...

Certes, on s'apprête à entrer en Iran, et dans l'inconscient collectif manipulé par les médias, l'évocation même de ce pays peut faire peur. Mais on a déjà traversé 9 pays et à chacun de ces pays s'associaient des peurs injustifiées. On a lu pas mal de récits très enthousiastes de voyageurs en Iran, et c'est finalement assez sereins qu'on arrive au poste frontière de Doğubayazit. Au dessus des portes de l'Iran, un orage noir se déclare, et déverse des trombes d'eau. On y passe 3 heures d'attente pénibles, mais on passe comme des fleurs... pas de questions, pas de sacs fouillés, on a de la chance finalement, alors à nous l'Iran!!!

 

Il fait beau, il fait chaud, l'asphalte est lisse, on entend déjà quelques « welcome to Iran! », on ne sait pas lire le farsi, on est un peu perdus, mais après quelques kilomètres, on est invités pour un premier thé! Ici, le thé est plus léger et le carré de sucre fond dans la bouche, pas dans le verre. On découvre qu'on est en Province d'Azarbayjan, et que la langue azéri est proche du Turc... Youhou! On peut échanger quelques mots!

L'Iran, c'est une constellation de provinces aux cultures diversifiées et à la personnalité riche: azeris, kurdes, baloutches, … cohabitent tant bien que mal dans ce pays immense.

 

On change 100 dollars, on récupère une liasse de billets qui doit peser près d'un kilo. C'est qu'ici, 1 dollar équivaut à 10000 rials... On se sent lourds, mais riches!!!

 

La route est remplie de « Peugeot 405 », à l'avant desquelles les hommes saluent Julien d'un coup de klaxon, à l'arrière desquelles les femmes agitent la main avec de grands sourires! On a changé d'heure, et la nuit tombe plus tard, ça fait plaisir, d'autant plus que c'est en fin de journée que les températures deviennent les plus agréables pour rouler et flâner au pied de la tente.

 

Les mosquées semblent avoir disparu, étonnant pour une République Islamique. Fini les minarets qui piquent l'horizon, et l'appel à la prière se fait beaucoup plus discret, mais, les femmes sont toutes voilées, et c'est tristounet... Si à Téhéran, la plupart des filles se laissent aller à quelques mèches hors du foulard, voire laisse la moitié de leur chevelure à l'air libre, ailleurs, les femmes s'enveloppent dans un long voile noir et déambulent dans la ville, fantômes sombres et anonymes. Si elles se couvrent autant, c'est que la loi les y oblige. La plupart des femmes en souffre et les hommes sont les premiers à les plaindre... Finalement, c'est dans l'intimité des maisons que les femmes se sentent le mieux, là où elles peuvent s'habiller et s'exprimer comme bon leur semble.

 

On se délecte de kebabs, mais aussi des nombreuses spécialités iraniennes: abgusht, fesenjun, asht et badenjan, shor e zar... Les fruits débordent des étalages: pastèques, cerises, melon blanc, oranges, pèches... alors on se gave des vitamines qui nous ont un peu manqué cet hiver.!

 

On décide de faire un détour par les « petites routes » en direction de Jolfa, en longeant la rivière Aras, frontière naturelle entre l'Iran et l'Azerbaïdjan. Après quelques kilomètres plutôt ennuyeux, on traverse d'immenses champs de coquelicots, puis un canyon aux couleurs chaudes au creux duquel se cachent quelques vieilles églises arméniennes et un ancien caravansérail.

 

A Marand, Ali et Zahara nous invitent à passer la soirée chez eux... Nous resterons finalement 2 jours! C'est férié dans tout le pays (anniversaire de la mort de la fille d'un prophète...) et on passe un super moment avec eux, entre pique-nique, balades et visites. Ils parlent bien anglais, c'est une belle opportunité pour nous d'en apprendre plus sur la culture iranienne... et pour eux de nous poser les 1000 questions que les Iraniens se posent sur les étrangers qui passent par chez eux!

A Tabriz, nous passerons aussi la journée avec une famille qui rêve de s'installer en Australie... Nous traversons avec eux le grand bazar et ses échoppes colorées, puis ils nous invitent dans un restau sur les hauteurs de la ville, la grande classe!

A Zanjan, Peyvand et toute sa famille nous invitent à passer la nuit chez eux... Soirée animée de discussions passionnantes, tour dans la ville au goût de délicieuses glaces au safran, on repart le lendemain avec l'envie de revenir, et en cadeau un couteau en bois, spécialité de Zanjan.

 

Il est très difficile pour les Iraniens de voyager à l'étranger et ce manque de liberté attise leur curiosité: ils veulent tout savoir sur nos modes de vie, sur les raisons qui nous poussent à voyager dans leur pays, sur la perception que les Européens ont de l'Iran, sur ce que nous pensons de l'Iran depuis qu'on y est entré.

On en apprend tous les jours un peu plus sur les restrictions imposées en Iran : la cravate, symbole de l'occident, n'est pas interdite, mais pas recommandée, les femmes n'ont pas le droit de chanter en public, les concerts sont interdits, les boîtes de nuit inexistantes...

Les Iraniens ont presque tout pour être heureux, il ne leur manque qu'un gouvernement à leur écoute et pas un gouvernement qui leur « interdit tout ce qui peut apporter un peu de bonheur », dixit un jeune de notre âge. A mes yeux, cette restriction excessive et incompréhensible des libertés donne aux Iraniens cette capacité de se réjouir du moindre petit plaisir et de s'émerveiller de tout, mais aussi une intelligence et un esprit critique que j'admire.

 

C'est vendredi, tout le monde est de sortie: des centaines de personnes ont envahi les montagnes entre Zanjan et Rasht. L'herbe est tapissée de tentes et de nappes de pique-nique! Il fait beau et ça grimpe, ça grimpe, ça grimpe... une fois le col franchi, une magnifique vallée haute en couleurss'offre à nous. On ne savait pas à quoi s'attendre, on n'est pas déçus, c'est superbe!!! Des dégradés de couleurs ocres, rouges et verts et, en bonus, une longue descente en lacets, du pur bonheur le nez au vent, le genre de route qui te fait oublier toutes les p... de montées que tu t'es tapées avant!!!

 

Encore 2 jours de route et nous arrivons au bord de la mer Caspienne. La route est bordée de rizières, de chapeaux de pailles et même de quelques zébus: plus de doutes, on est en Asie. La récolte du riz semble être un dur labeur, les pieds dans la gadoue et une chaleur humide et écrasante... mais quand ils nous voient, les travailleurs nous saluent avec un grand sourire!

 

Malheureusement pour nous, la route de la côte n'est qu'une voie rapide sur laquelle les gros camions font rugir leurs moteurs et crachent d'épais nuages noirs. La mer est planquée derrière l'alignement de maisons à l'architecture souvent douteuse. Parfois on peut y accéder, mais la déception est encore plus grande lorsqu'on marche au milieu des déchets laissés par les pique-niqueurs fous de vendredi dernier.

 

On décide de ne pas entrer dans l'immense Téhéran en vélo, on prend le bus à Chalus. Après quelques noms d'oiseaux échangés avec le chauffeur qui veut nous extirper une folle somme pour transporter les vélos, on grimpe finalement dans le bus. Bien nous en a pris... la route est belle mais aussi étroite que fréquentée, on est contents de ne pas être sur nos bicyclettes! Et puis le bus, c'est marrant; pendant 4h, on a l'impression d'être dans des montagnes russes ou des auto-tamponneuses, on hésite.

 

Arrivés à Téhéran, il nous reste 20 kilomètres pour arriver chez Reza, que du bonheur en perspective! La ville est découpée par des autoroutes sur lesquelles les vieilles Paykan et les Peugeot 405 se reniflent l'arrière train, dans une cacophonie de klaxons. La circulation est particulièrement dangereuse. Les voitures se frôlent, accélèrent, forcent le passage, roulent sur trois voies alors qu'il n'y en a que deux. On zigzague entre klaxons saoulants, pots d'échappements puants... et quelques ''welcome to Teheran!'. Au nord, dominant la ville, les monts de l'Alborz sont encore légèrement enneigés. On se demande comment c'est possible avec cette chaleur! Sur la voie rapide, je vois Julien à quelques mètres devant moi, des voitures lui coupent la route, d'autres lui frôlent la roue arrière, et j'ai peur. On a même droit à des marches arrière : ''Merde, j'ai raté la sortie !''. Pendant 20 kilomètres, je déteste les Iraniens, mais on arrive vivants, et Reza nous attend avec son légendaire sourire, ouf!

 

Ici, on décide de limiter les déplacements à vélo. A nous les kilomètres de marche et les transports en commun!

Premier bus, naturellement, je monte à l'avant ; erreur suprême: les femmes, c'est à l'arrière!

Dans le métro, c'est plus simple: les wagons sont mixtes, sauf un réservé aux femmes. C'est l'heure de pointe, je décide de tenter le wagon 'only for women'... qu'est-ce que ça piaille ici!!! J'ai droit à une demi-heure de télé-achat: à chaque arrêt, une 'démonstratrice' entre et vend 'au choix' des bracelets, des sèches-linges, des rouges à lèvres, des bas nylon ou des culottes!

On tente aussi le 'covoiturage', système super pratiqué à Téhéran. Tu te mets à une grosse intersection, tu agites la main (tu tends pas le pouce parce qu'ici c'est plutôt l'équivalent de notre majeur), et si quelqu'un a de la place dans sa voiture, il t'embarque et tu donnes une petite participation.

Enfin, on essaye la moto. Même principe que le covoiturage, on s'installe à deux derrière le pilote, on lui dit 'yavash yavash' qui pourrait se traduire par 'roule doucement coco, on veut arriver vivants', et c'est parti pour un slalom géant dans le trafic fou de la ville, une expérience...

 

Téhéran, c'est pour nous le temps de demander des visas pour les pays d'Asie Centrale, et ce n'est pas une mince affaire. Il nous faudra 10 jours pour régler nos affaires avant de pouvoir quitter la capitale. Dix jours d'aller-retours en taxi, bus et métro, entre les ambassades kirghize, ouzbèk, turmène et française. Il nous faut des lettres d'invitations obtenues pas toujours facilement auprès de l'ambassade de France. Durant ces dix jours, on cogite à notre futur itinéraire en Asie, et aussi à notre visite de l'Iran. Oui, en perdant autant de temps à Téhéran, on va devoir visiter le pays au pas de course, et pas toujours en vélo... et ça nous met un peu le moral à zéro.

 

On se concocte donc un programme complètement illogique, mais qui nous permet de combiner dernières démarches administratives, visites des plus belles villes d'Iran, week-end entre potes dans le village de Khur, et un petit challenge: une semaine de vélo dans le désert!

 

A Esfahan, on reste bouche bée devant la taille de la place de l'Imam, la deuxième plus grande place au monde après Tian An Men à Pékin. Les dômes de mosaïques bleues surplombent les jardins dans lesquels les Esfahanis viennent pique niquer le soir, quand la chaleur est plus supportable. Le soir venu on grimpe par un escalier presque invisible, pour rejoindre la terrasse d'un salon de thé qui surplombe la place qui s'anime. Dans les allées du bazaar, les livreurs nous préviennent de leur arrivée par un 'Yallah, yallah!', et frôlent les motos qui transportent une dizaine de tapis chacune. A force de regarder les tapis et les kilims, on finit par craquer, qui l'eût crû? Le magasin assure l'envoi, on verra bien combien de temps ça prend pour arriver...

Cet itinéraire compliqué qu'on s'est concocté nous oblige à prendre des bus de nuit, fatigants, mais parfois confortables. On économise des nuits d'hôtel, et on évite de voyager durant la journée. Mais parfois malgré le confort et l'inclinaison des sièges, on ne dort pas à cause du chauffeur qui klaxonne ou écoute sa musique, ou à cause de ce maudit foulard qui tombe chaque fois que je m'endors.

 

Plus au sud et après une nuit de bus, on découvre Shiraz, avec Ehsan qui a accepté de nous héberger, et qui sera notre guide chauffeur durant notre séjour ici. Il nous balade entre le bazaar, le grand mausolée de la ville, les mausolées des poètes Hafez et Saadi (ici, les poètes sont aussi vénérés que des personnalités religieuses), ou encore l'historique site de Persépolis, vestige d'une civilisation disparue. Et on se régale aussi des bons petits plats de sa maman, les khoresh toujours accompagnés de riz et de tadik. On aime cette tradition du « tadik », qui consiste à servir le fond brûlé exprès de la casserole de riz, de manière prestigieuse, délicieux! On adore aussi les glaces au safran et au jus de carotte et le Cholezar de la mamma!

 

Il y a aussi Yazd, notre coup de coeur en Iran. Selon l'UNESCO, la ville est sans doute la plus vieille du monde, hébergeant une civilisation zoroastrienne pré-islamique deux fois millénaire, et toujours présente. Sous la chaleur écrasante du désert alentour, on apprécie les ruelles ombragées et voûtées de la vieille ville. Les Yazdis sont très religieux, et le nombre de femmes portant le tchador est beaucoup plus grand que ce qu'on avait pu voir auparavant. Et puis il y a Babak et Ali, deux frères rencontrés 10 jours auparavant qui nous hébergent chez eux. On discute, on mange les plats de la maman en visite, on joue au foot sur la playstation, faute de beaux matchs à la télé...

 

Et le désert... une petite folie en soit. Il fait sec et... chaud! Notre eau est chaude, nos fruits sont chauds, nos selles sont chaudes, le vent est chaud... On bricole une technique pour rafraîchir l'eau en enveloppant les bouteilles dans des tissus humides, et ça marche étonnamment bien... lorsqu'on a de l'eau pour mouiller les tissus. Les paysages sont monotones parfois. On se lève à 5h, en route à 6h, pause obligée à l'ombre sous la route, de midi à 17h, puis on roule jusqu'au soir. Une semaine à se demander ce qu'on fout là, mais une petite voix intérieure nous pousse à continuer jusqu'au bout... et ça a du bon! Tous les jours on apprécie la gentillesse des camionneurs qui s'arrêtent pour nous offrir de l'eau fraîche ou du melon (ou un bloc de glace...), on croise des chameaux et quelques dunes, on roule au milieu de montagnes colorées tout en nuances de rouge, on cuisine à la chaleur du soleil, on dort à la belle étoile, on se fait inviter au thé par une famille de bergers complètement isolée du reste du monde, on découvre le travail des tisseuses de tapis...

 

Après toutes ces aventures, on retourne sur Téhéran récupérer nos derniers visas et profiter encore un peu de Reza, Amirali et Nasli, Liliane et Mojtaba, Ehsan, Mohamed, Arash... toutes ces personnes qui ont adouci notre long séjour dans la capitale. Merci à vous!

 

Il est temps pour nous d'accélérer le rythme, notre visa turkmène va déjà bientôt expirer alors on prend un bus pour Mashad, ville de pèlerinage, à l'est de l'Iran. De là, on roule vers la frontière turkmène puis vers Ashgabat.

La route traverse d'abord un plateau encadré au Nord par la chaîne de montagnes qui sépare l'Iran du Turkménistan. Les champs de blé jaunis sont parfois déjà moissonnés, et plus on monte vers la frontière turkmène, plus les champs deviennent épars, et la saison des moissons tardive. Après avoir traversé des gorges de toute beauté et grimpé un col à 2250 mètres, on aperçoit le poste frontière, perché sur une crête. Derrière, la route doit descendre jusqu'à Ashgabat, capitale du Turkménistan, un des pays les plus fermés au monde.

 

Notre séjour en Iran est passé beaucoup trop vite. 1 mois ½ et on a l'impression de n'avoir rien vu! On est un peu frustrés, alors on se promet de revenir un jour. Il y a encore beaucoup de paysages à voir et de gens à rencontrer.

Mais aujourd'hui, on s'apprête à découvrir l'Asie Centrale, et on sait que ce sera très différent, mais sans doute toujours aussi excitant. A suivre...