Avec la Rakija??? On n'a jamais froid!!!

Tout nouveau pays implique un léger temps d'adaptation... A notre arrivée à Mostar, capitale de l'Herzégovine, on se sent d'abord un peu paumés. Après 9 jours d'insouciance en pleine nature, débarquer dans une ville, dans un nouveau pays, n'est pas si facile. Surtout quand cette ville très touristique en été se trouve comme désertée au mois de novembre. Surtout quand on est coincé entre la fête nationale bosniaque et le nouvel an musulman, et que tout le monde fait la fête en famille ou entre amis. Quand il n'y a pas vraiment de lieux à visiter et que l'activité est au ralenti parce qu'on est fin novembre et qu'il fait froid. Quand on n'a pas de guide, qu'on se sent un peu comme deux touristes qui connaissent trop peu l'histoire récente du pays et qu'on n'étaient pas préparés à voir autant de ruines et d'impacts de balles sur les murs des immeubles (80% des bâtiments ont été détruits pendant la guerre).

 

Après 2 jours à errer dans les ruelles de la vieille ville et à admirer son vieux pont reconstruit après la guerre, à faire un peu de lessive et de cuisine ratée (Julien n'oubliera pas les merveilleux hamburgers de son anniversaire – si si, on peut rater des hamburgers!), on commence à creuser notre trou, à rencontrer les bonnes personnes, à se sentir à notre place. Pas facile d'appréhender cette ville qui porte les cicatrices de la guerre et qui se trouve scindée avec, à l'ouest, la ville croate et catholique, et à l'est, la partie bosniaque musulmane. Finalement, contre toute attente, on reste 5 jours à Mostar.

 

Au centre culturel « Abrašević », on se sent un peu chez nous, on vient boire quelques cafés (et plus tard quelques bières), discuter avec Tina qui organise les événements de ce lieu incontournable de la ville, profiter des concerts. On est hébergés par Maria puis par Miloš. On goûte le vin du coin. On apprend tout doucement à apprécier ce pays qui va nous réserver bien des surprises.

 

Finalement quand on quitte Mostar, on sent qu'on a fait le tour, mais on a quand même un petit pincement au cœur.

On enfourche nos petits vélos, et en route pour Sarajevo!

 

Des journées monochromes, on en a eu et on en aura encore. Ces journées grises, durant lesquelles on attend la pluie. Les kilomètres sont longs quand on attend... Pleuvra? pleuvra pas? Alors on roule tant qu'on peut et tant qu'il ne pleut pas. Les nuages s'abaissent et le vent du Sud nous pousse vers le nord. Il fait chaud et humide, et on se dit que l'air qu'on respire a traversé toute la Méditerranée, nous amenant des visions du Soleil et des couleurs du Maghreb. La route serpente le long de la Neretva. Les nuages se reflètent dans l'eau et lui donnent une couleur d'un bleu-gris profond. Le ciel s'abaisse encore un peu plus, et on a presque tendance à baisser la tête, pour ne pas se cogner à ce plafond trop bas. On se réfugie dans un bar, et des trombes d'eau s'abattent sur la vallée. On regarde la pluie tomber, en se demandant si ça s'arrêtera un jour. On se faufile entre les gouttes, on plante la tente, on mange, on s'endort. Une journée en monochrome...

 

Le vent agite la tente comme jamais. On se réveille vers 8h et il pleut des cordes (il drache ouai!!!). On se dit que ça va passer. A 13h, on ne tient plus, on plie le camp et on file vers le premier village pour attraper un bus. Dommage, on avait envie de pédaler et le paysage est beau, mais ce sont les aléas de la météo...

 

Arrivés à Sarajevo, on se dégote une petite auberge de jeunesse chaleureuse. Etre dans une auberge, ça veut dire rencontrer d'autres voyageurs, discuter et échanger sur nos parcours respectifs. Certains voyagent une semaine, d'autres sont sur les routes depuis plus d'un an. Le confort de l'auberge, c'est aussi les douches, la cuisine, et faire sécher la tente et les vêtements restés humides depuis notre lessive de Mostar.

Sarajevo est une ville définitivement multiculturelle. Du haut des collines olympiques on ne peut pas manquer les églises orthodoxes et catholiques, et les mosquées qui quadrillent la ville. C'est aussi de ces perchoirs qu'on entend l'appel à la prière des muezzins mêlé au son des cloches. 'La Jérusalem d'Europe', c'est ce mélange des cultures et des religions. Les Balkans ont été au carrefour de l'Europe et de l'Asie, tantôt sous l'influence ottomane, tantôt sous l'égide austro-hongroise. L'odeur des feux de bois qui chauffent les maisons flotte partout dans l'air frais.

La ville est animée, de jour comme de nuit. Les restaurants font salle comble à toute heure, entre čevapi et bureks, entre bière et café turc.

C'est aussi à Sarajevo qu'on a appris beaucoup sur la guerre. Les quatre années de siège ont marqué à jamais les esprits des habitants de la ville. Durant la visite du tunnel, Nedim nous transmet son expérience et son émotion de cette guerre sale. Comment les Serbes ont martyrisé cette ville et ce peuple, comment la communauté internationale est restée immobile face au massacre, comment les balles et les mortiers menaçaient à chaque instant la vie des civils qui faisaient la file pour de l'eau, du pain, ou des rations humanitaires. (Nous avons cru bon de dédier un article à ce tunnel.)

 

Il est temps pour nous de quitter Sarajevo. On se dirige maintenant vers la Serbie, plus précisément vers Novi Sad. Environ 300 kms nous attendent, soit 5 jours de route. On est assez excités, ça fait longtemps qu'on n'a pas roulé 5 jours d'affilée. On a une toute petite appréhension aussi ; tout le monde nous répète que la neige va tomber d'un jour à l'autre, et puis on a encore vachement de mal avec le serbo-croate, on a un peu peur de ne pas pouvoir communiquer avec les gens sur la route... Bref, on sait qu'on peut toujours prendre un bus en cours de route en cas de difficultés.

 

Mais la magie du voyage fait son petit effet... Certes on a un peu de pluie, on a un peu froid parfois, on doit gravir quelques côtes, mais les rencontres qu'on fait sur la route en valent la peine!!! Pendant 5 jours, on nous offre des repas plantureux, des dodos au chaud, des cafés, des bières, des verres de rakia (Julien s'en souvient... enfin, à moitié!), du pain, des pâtisseries, des toits pour manger au chaud... à Olovo ou à Bijeljina, en Bosnie ou en 'Republika Srpska', même combat.

Que ce soit côté bosniaque ou côté serbe de la frontière, partout on nous accueille comme des rois, on passe des soirées entières à parler avec les mains, à chercher nos mots dans notre dictionnaire, à se souvenir de nos cours d'allemand, à écouter des histoires incroyables, à rire et à chanter!

 

La Bosnie Herzégovine nous laisse comme un petit goût de « reviens-y », la Serbie, un petit goût de « vous n'allez pas vous ennuyer ici! »

 

 

Le Tunnel

L'histoire récente de l'ex-Yougoslavie est complexe et encore plus difficile à comprendre pour nous qui débarquons avec nos gros sabots (et nos gros vélos). La première chose que Milos m'a dit à Mostar c'est « ne cherche pas à comprendre ce qu'il s'est passé ici durant cette guerre. Les gens d'ici ne le savent même pas ».

Alors c'est en toute objectivité qu'on écoute les différents témoignages et points de vue, qui divergent les uns des autres, et qui seront sans doute encore plus différents en arrivant en Serbie. Nous essayons de retranscrire ce que nous avons entendu, et ne prétendons à aucun moment que les dires et faits sont corrects, exacts ou vérifiés.

A Sarajevo nous avons choisi de suivre une visite guidée du 'tunnel' de Sarajevo. L'expérience de notre guide Nedim nous a beaucoup touchés.

 

Nedim est à peine plus âgé que nous. Il a vécu toute sa vie à Sarajevo. Il n'a jamais voulu quitter sa ville, ni pendant les quatre années de guerre (1992-1995), ni après. Aujourd'hui, il nous a guidé à travers cette ville cosmopolite, belle, touchante, encore marquée par la guerre, encore sur la voie de la reconstruction.

 

Sarajevo a été pendant 4 ans une prison à ciel ouvert. Au cœur des attaques, des maisons de retraites, des écoles, des maisons, des hôpitaux, des monuments culturels (la bibliothèque nationale a vu disparaître 80% de ses archives), des édifices religieux... L'eau, l'électricité et le chauffage ont été coupés. On est revenus à l'époque du « Moyen-âge ».

Les forces serbes ont encerclé la ville depuis les collines environnantes, ne laissant comme zone neutre que l'aéroport comme accès étroit aux forces de l'ONU. Les nations unies fournissaient très irrégulièrement des vivres aux 300 000 habitants de la ville, leur permettant ainsi de « survivre ». La moitié des vivres passant par l'aéroport devait être remise à l'armée serbe. Ce ravitaillement sommaire s'est vite révélé insuffisant. Une famille vivant près de l'aéroport a alors accepté d'ouvrir sa maison à la construction d'un tunnel dont l'existence est restée secrète jusqu'à la fin du siège. Ce tunnel reliait l'intérieur de Sarajevo au reste de la Bosnie « libre ». Sa construction a duré 4 mois et 4 jours. Une fois ouvert, il a vu défiler quotidiennement 4000 personnes transportant de la nourriture, des médicaments, et des armes. Quand le siège de la ville a commencé, l'armée serbe (ex-armée yougoslave) était parfaitement équipée au niveau armement. Les civils encerclés, eux, n'avaient pour se défendre que quelques armes de chasse et de gendarmerie.

 

Nedim, à 15 ans à peine, a souhaité s'engager dans l'armée de défense de la ville, mais il était encore trop jeune. A 16 ans, ses parents ont accepté son engagement. « De toutes façons, que l'on soit au combat, à l'école ou à la maison, on avait les mêmes chances de se faire tuer par une roquette serbe».

 

Dans l'armée de défense de la ville se mêlent musulmans, chrétiens et même orthodoxes. Peu importe qui l'on est, il n'y a que 2 camps: d'un côté, les nationalistes serbes, menés par Slobodan Milošević qui veulent détruire Sarajevo et la garder attachée à la Yougoslavie, de l'autre, ceux qui veulent défendre cette ville et l'indépendance de la Bosnie.

 

Nedim a été touché 2 fois et s'est retrouvé 6 mois à l'hôpital. A la fin de la guerre, on lui a proposé de s'engager à titre professionnel dans l'armée, et de se former dans une grande école, en Turquie. Une partie de ses amis est partie. Lui n'a pas voulu quitter Sarajevo pour laquelle il s'était battu toutes ces années. Il a voulu se débarrasser de l'uniforme et des armes. Il a entamé des études de médecine, et il est aujourd'hui anesthésiste. Après ces années d'horreur, ce qui compte pour lui, c'est la vie, et partager avec le monde entier la mémoire de cette guerre qui a fait 11000 morts à Sarajevo, en plein cœur de l'Europe, à la fin du 20e siècle.